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d’admiration. Ah oui, qu’il en savait des « fiaues », ce sacré Colas ; on ne savait pas où il allait les prendre.

Maintenant ils étaient en train, choquant leurs verres, parlant à tort et à travers, quelques-uns même, montés sur la table, au risque de chavirer les bouteilles. Il y avait surtout un ami de Pierre, qui criait plus fort que tous les autres. Il l’avait pris sous le bras, et tous deux chantaient à tue-tête une chanson de conscrit. C’était un garçon blond et rose, avec une figure joufflue, sous des accroche-cœur luisants de pommade. Fils d’une bonne famille, des paysans aisés qui avaient de beaux rayons de terre, il devait un jour être le maître de ces richesses. Malheureusement il tournait mal, lui aussi. Il avait fait son temps dans les dragons et la vie de caserne l’avait entièrement corrompu. Depuis qu’il était revenu, il passait sa vie au café. Méprisant les filles du pays, qu’il trouvait par trop rustaudes, il imitait leur parler naïf et traînant, et se vantait d’entretenir des relations avec des dames de la ville, servantes de brasserie ou pensionnaires de maisons closes. Tirant négligemment des bouts de voilette ou des mouchoirs brodés qui traînaient dans ses poches, il les donnait à respirer à ses amis, qui s’extasiaient sur l’odeur du patchouli et du musc. Une immense considération rejaillissait sur lui. Très généreux du reste et payant tous les frais d’une noce à la fin de la soirée, d’un geste large, qui faisait rouler les pièces de cent sous sur la table.

Ce soir-là, il régla toute la dépense.

— Quand j’en ai plus, la mère m’en donne. Elle dit, comme ça, qu’y faut pas être regardant, quand on est riche.