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donnant seulement l’impression d’un pauvre animal humain, transporté loin de son pays, et qui s’effarait de tout, des hommes, des bêtes, des choses.

Ça durait depuis trop longtemps, et il finissait par ennuyer l’assistance avec ses rengaines. Alors un gamin à la figure chafouine, qui tenait un bout de cigarette collé à sa lèvre inférieure, lui dit dédaigneusement :

— Tais-toi donc, vieille bête. Y a que pour toi à parler !

Et tout le monde trouva qu’il avait raison, par un de ces revirements, dont les simples sont coutumiers.

Poloche se rassit dans son coin, et on l’entendit grommeler de vagues protestations contre le manque de savoir-vivre, qu’on rencontrait chez la jeunesse.

Alors un autre vieux prit sa défense :

— C’était mal, de n’avoir pas de respect pour les personnes âgées ; si Poloche avait un verre dans le nez, ce n’était pas ce méchant gringalet qui le payerait, à coup sûr !

Celui-là était Colas Millet, un de ces vieux paysans dont le corps noueux est tout déjeté par le travail de la terre. Sa face soigneusement rasée était grave et triste. Ses traits gauches avaient la ressemblance d’une image, grossièrement taillée dans une souche, par un sculpteur primitif. Il était cassé en deux, au point qu’il regardait les gens de bas en haut quand il leur parlait, ce qui lui donnait une allure oblique et une attitude de supplication. Il avait un mal à une main, une de ces piqûres mauvaises qu’on néglige à la campagne et qui deviennent des plaies hideuses, et cette main, enveloppée dans un sac de toile grise, qu’il