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qui a trouvé un bec de gaz dans la sarabande des objets environnants :

— Le Pacifique ! le Pacifique.

Il prenait, dans sa bouche, une ampleur démesurée, ce simple terme qui n’était pourtant qu’une appellation géographique, et il le répétait avec insistance, faisant tenir là dedans tout ce qu’il avait vu, tout ce qu’il ne pouvait rendre, car il ne trouvait pas de mots pour dire le scintillement des mers inconnues, sous le soleil des tropiques, au bord des plages parfumées où, dans les vents du large, se balancent des palmes gigantesques. Tout cela, qui était splendide, qui était sa jeunesse, la révélation de pays lumineux, de paradis lointains où la vie était douce et facile, tout cela lui revenait soudain à la mémoire, tournoyait dans sa pensée alourdie avec un tel rayonnement de clarté, qu’il oubliait tout le reste, qu’il restait là, chaviré au bord de la table, les yeux pleins de larmes, suivant ses souvenirs.

— Le Pacifique… le Pacifique.

Et tous étaient devenus subitement sérieux, comprenant enfin que c’était loin, très loin, de l’autre côté de la terre.

Puis il se mit à raconter des choses étranges, incohérentes et tristes, qui se suivaient par lambeaux, des histoires de guerre et de massacre, des pierres qu’on soulevait pour faire du feu, au bivouac, et d’où sortait un fourmillement de scorpions venimeux et de mille-pattes géants, et aussi des marches qu’on faisait dans le lit des torrents, après des pluies diluviennes, l’eau vous montant jusqu’à la ceinture.

Ces récits étaient inhabiles, sans couleur et sans joie,