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rassit, en promenant un regard d’assurance autour de lui.

Soudain on entendit la voix de Poloche qui montait, pâteuse et bredouillante. Naturellement, il était encore plus gris que de coutume.

Titubant sur ses jambes avinées, la lueur du quinquet fouillant sa face d’ivrogne goguenard et pensif, il se leva péniblement. Une immense mélancolie, un attendrissement de pochard le soulevait, chavirait toutes ses pensées, tous ses souvenirs, lui faisait trouver, pour aimer tous ses compagnons, des paroles d’affection. Il se haussait, avec des hoquets et un larmoiement dans la voix, jusqu’au niveau de l’émotion générale.

Puis, comme un gamin lui détachait une plaisanterie, il se redressa, furieux :

— Taisez-vous, blancs becs… Respectez les vieilles gens. Vous ne savez rien… Moi j’ai… vu, j’ai vu…

Il chercha, toute sa physionomie se concentrant dans l’effort pour atteindre le mot, le souvenir, la chose qui fuyait devant lui !

— J’ai vu le Pacifique !

Il le cria, ce mot de Pacifique, avec une telle explosion de joie, que tout le monde s’esclaffa, autour de lui. C’était vrai : Sébastopol, le Pacifique, dont il avait entrevu l’immensité bleue sous des soleils plus rayonnants que les nôtres, lors de l’expédition du Mexique, tous ces mots revenaient si souvent dans sa bouche, quand il était ivre, qu’on l’appelait aussi Poloche le Pacifique, avec une nuance d’ironie et d’admiration.

Il répétait, têtu, se butant aux syllabes enfin retrouvées, s’y cramponnant avec une obstination d’ivrogne,