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saient, secouant les masses des feuillages ; des odeurs de roses pâmées sortaient des jardins.

Il fallait rentrer.

Les vieux l’attendaient, assis à la table où la vaisselle du souper luisait sous la lampe de cuivre. Elle s’arrêtait un instant, avant de pousser la porte, passait son mouchoir sur ses yeux, s’efforçait de prendre un air d’indifférence. Et c’était, tous les soirs, un effort qui lui coûtait.

On mangeait lentement, sans dire mot, une gêne insaisissable planant dans l’air. On s’épiait. Marthe avait beau se contraindre ; c’était plus fort qu’elle, il lui arrivait de rester devant son assiette pleine, les yeux dans le vide, la pensée absente.

Alors elle saisissait un geste désespéré des vieux, qui se poussaient du coude, et se la montraient, en hochant la tête. Ils oubliaient de manger, eux aussi. Ils n’osaient pas lui parler, lui faire des reproches, demander des explications, par crainte de raviver sa douleur. Une fois ils avaient voulu lui toucher quelques mots ; elle avait eu un geste de supplication si navré, que les vieux n’osaient plus y revenir. Et ils éprouvaient aussi une sorte de pudeur, une honte de vieux, qui n’osaient plus s’occuper de ces histoires d’amour.

On se regardait, les moindres paroles se faisaient précautionneuses, et dans cette maison, autrefois si joyeuse, se glissait une menace furtive : l’approche du malheur.