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tracer sur une lettre mystérieuse le secret de leur avenir. La fille rieuse lisait par-dessus l’épaule du garçon, et, sans en avoir l’air, s’appuyait amoureusement sur lui, la créature !

Le soir venu, Marthe les retrouva encore sur la route déserte, les bras noués dans une étreinte. Ils causaient tout bas, ayant l’air de se conter des choses tendres, des choses qui les intéressaient seuls. Et la manante portait sous son bras un grand bâton de sucre de pomme, que Pierre lui avait acheté, un cadeau superbe qu’elle brandissait joyeusement et qui tirait l’œil au passant avec son papier d’or et ses ornements de fanfreluches.

Il ne fit pas semblant de l’apercevoir, quand elle les devança sur la route. Mais la Renaude avait poussé un éclat de rire. Il sonnait encore à ses oreilles, ce rire insultant et moqueur. Alors toutes sortes de rancunes et de pensées mauvaises se levaient en elle. Elle en avait honte parfois. On eût dit que son malheur remuant les profondeurs de son être, comme une eau vaseuse, en faisait sortir des choses informes, qui grouillaient. Jalousie d’abord, et révolte de tout son corps, de tout son cœur, quand elle le voyait au bras d’une autre, dépit d’être abandonnée, mais surtout une immense désillusion, car il s’abaissait jusqu’à cette fille à soldats.

Alors elle souffrait tellement que sa douleur crevait, comme une poche de fiel. Elle pleurait à chaudes larmes, enfonçant son mouchoir dans sa bouche pour ne pas donner l’éveil par ses sanglots, désespérée, dégoûtée de tout, tout son être flottant à la dérive.