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avait cette sorte de mépris que les paysans ressentent vis-à-vis de la femme, habitués à la voir obéir et tenir dans la maison la seconde place. Ils n’étaient pas mariés, qu’elle voulait déjà porter la culotte. Et il s’affirmait sa rancune. Retourner, demander pardon, allons donc, ce serait trop lâche. D’ailleurs il pouvait le dire : les Noel étaient tous comme lui. Rangés et tranquilles une fois mariés, avant le sacrement ils étaient bien connus pour leurs fredaines. Il trouvait des raisons pour s’excuser, pour faire taire en lui ce grand cri de passion, qui lui disait de revenir sur ses pas, de la prendre dans ses bras, de mériter son pardon par de bonnes paroles…

Marthe, immobile derrière ses rideaux, le suivait des yeux…

Il ne revenait pas. Qu’avait-elle fait ? Qu’est-ce qui l’empêchait d’ouvrir cette fenêtre, de le rappeler, de faire sa paix avec lui ? Rancune invincible, dépit de n’avoir pu vaincre sa fierté et surtout la pensée qu’il se gausserait d’elle avec la Renaude, et qu’il se vanterait de l’avoir reprise, comme il aurait voulu.

La nuit était noire. Pierre longeait le mur croulant qui fermait sur les prés le jardin de la Renaude. Tout le village dormait : la chambre de la fille était isolée. Il hésita un instant, puis il escalada le mur.

On entendit ses pas criant sur le gravier.

Des jours passèrent.

Marthe restait accoudée à sa fenêtre, le regard perdu dans la nuit.