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copient, à s’y tromper eux-mêmes, les personnages historiques. — Il semble, en effet, que ce siècle, dans sa première moitié, n’ait eu qu’une vie historique, et voyez, — serait-ce le mot de l’énigme ? — c’est le siècle des historiens, de Thierry et de Michelet. Tout son honneur et pourtant tout son tort sont là. Elle est belle, cette curiosité du passé, mais ce n’est qu’une belle chose morte, l’œuvre qu’on fonde sur les ruines des temps révolus, quand une vive foi en l’avenir ne la fait pas rayonner comme un phare, pour illuminer les ténèbres futures. Est-il donc vers ce qui n’est plus, le sens de la vie ? Ce grand souci du passé décèle une impuissance à porter le présent, à préparer l’avenir.

Le sens historique est — fatalement et comme par définition, puisqu’on n’a d’histoire qu’à condition d’avoir beaucoup vécu — le signe de la vieillesse d’une race, une marque de décadence. Il s’éveille avec le sens critique, à l’âge critique des sociétés, pour brider en elles la spontanéité de la faculté créatrice. L’habitude se contracte vite de tout juger au point de vue de l’histoire, même les événements quotidiens dont on garde une information minutieuse, mais sans y prendre un intérêt immédiat : ils sont si neufs ! Ils manquent d’un recul dans les siècles, de la patine du temps. À la bonne heure pour nos petits-fils : ils discuteront avec passion sur les accidents que nous en-