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courraient à un effet de détail et d’ensemble. Je m’explique.

Le vers, ai-je dit, est essentiellement borné par les bornes du souffle humain : douze syllabes le limitent. — Mais, et de plus, le vers est essentiellement, ai-je dit aussi, un instant d’exaltation, d’enthousiasme qui ne peut et ne doit pas durer. C’est pourquoi il appelle la prose. Voilà un siècle qu’il l’appelle. Lamartine a dit que le vers disparaîtrait, que la prose finirait par suffire à l’expression littéraire. C’est que plus qu’un autre, pour en avoir abusé, Lamartine devait comprendre que l’état lyrique prolongé est une fatigue intolérable. Mais non, le vers ne disparaîtra pas : il fera seulement, comme c’est l’ordre, plus large place à la prose.

Il est bien net, le chemin que la prose et le vers ont pris pour se rapprocher l’un de l’autre. À peu près au moment même où les poëtes romantiques prennent les premières libertés métriques, déroidissent le vers classique, Aloysius Bertrand écrit les premiers poëmes en prose. Sainte-Beuve assouplit davantage le vers, l’incline à la prose et, peu s’en faut, l’y jetterait. Mais Baudelaire recrée le grand vers lyrique. Toutefois le lyrisme, dans les Fleurs du mal, coule à frêles flots essentiels ; poésie concentrée, flèches moins nombreuses et plus vibrantes, grands vers peu explicites, aux lointaines résonnances. Je perçois entre les di-