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délices sans orgueil : « Les fleurs tombent et les oiseaux s’envolent ! »

Vérité élémentaire qu’il faut pourtant redire : l’émotion vitale et l’émotion esthétique sont deux (quoique destinées à se rejoindre en définitive). La Vie est la matière première qui contient la possibilité esthétique : l’Art est la mise en œuvre de la Vie selon certaines interprétations choisies. Un tableau : soit une femme nue, blessée ; si c’est dans ta sensualité ou dans ta pitié que tu t’émeus d’abord, ou tu n’es pas artiste, ou l’œuvre n’est pas artistique. Si tes yeux d’abord sont charmés, si ton esprit s’éveille ensuite et que tes sentiments et tes sensations s’agitent à leur tour, seulement parce que tout ton être vibre, tu as une émotion vraiment artistique ; — l’Art t’a parlé par ses signes propres, qui sont dans l’exemple choisi les lignes et les couleurs, et ta vie intime est entrée en communion de joie avec le sens vital exprimé par les signes de l’Art. — De même, en littérature. Si tu n’es d’abord séduit par la vivante beauté des vocables, par cette beauté conquérante et significative qui annexe à l’âme de l’écrivain et aux âmes de ses lecteurs une province de la Vie, une province jusqu’alors dénuée de sens, l’œuvre n’est pas artistique ou tu n’es pas artiste, — cela, dis-je, quelles que soient la grâce ou la gravité de la fantaisie en cause ou du problème en question. C’est pourquoi l’Illustration en peinture et le Récit en littérature ne relèvent de l’Art qu’à de très particulières et rigoureuses conditions, — et, par le fait, ne lui appartiennent que très rarement. — Mais sans doute sont-ils nécessaires, comme aussi presque toute la musique dite de salon, à l’énorme majorité des Gens, dont toute la vie cérébrale à ces trois seuls facteurs : la concupiscence, la sentimentalité et la curiosité.

Cette curiosité publique pour, en particulier, les choses de l’amour, devient au théâtre une réelle indiscrétion. Le théâtre contemporain atteint à son effet capital quand il montre à toute une salle ce qui précisément ne doit jamais être vu : les serments et les baisers échangés.

C’est pourtant le frisson de la Vie même que l’Art éternise,