Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(Ajoutons ici, sans leur chercher d’inutiles transitions, quelques observations essentielles à l’intelligence soit de cette formule, soit des lignes qui vont suivre et conclure.)


Donc, ton devoir, Poëte, et ton droit ne font qu’un : intrangressible, imprescriptible. C’est ta propre joie (et, par ainsi, tu symbolises à miracle les devoirs et les droits de tout homme, lesquels sont d’être heureux…) Oui, te contenter, tirer de toi le livre que tu voudrais lire, où s’épanouirait ton cœur, où s’accomplirait ton esprit : ta propre joie. Mais n’oublie pas, puisque tu te sers d’un instrument d’artifice à récréer la nature, — d’artifice, c’est-à-dire d’intelligence, — que tu es obligé à la noblesse intellectuelle et que ta joie doit être cérébrale. Sinon, combien mieux que toute œuvre d’art te conviendrait n’importe quelle fraîcheur de bain de chair jeune ou quelle frivolité d’alcool ou de venaison ! et pourtant tes sensualités elles-mêmes doivent être satisfaites par l’œuvre de ton art, nulle de tes actions ne pouvant avoir lieu que par le concours de toutes les puissances de ton essence : tout réside en la couleur de l’atmosphère où cette tienne essence, d’où qu’elle vienne, choisit sa patrie.


Sois le mineur et l’orfèvre de ton or.

Avant de feindre et d’écrire, avant d’exercer ton imagination et ton sens esthétique, sache où te prendre dans ta raison ; pense avant de chanter, que ta beauté soit le voile splendide de ta vérité. Et ta pensée, garde-toi de la jamais nettement dire. Qu’en des jeux de lumière et d’ombre elle semble toujours se livrer et s’échappe sans cesse — agrandissant de tels écarts l’esprit émerveillé d’un lecteur, comme il doit être, attentif et soumis — jusqu’au point final où elle éclatera magnifiquement en se réservant, toutefois et encore, le nimbe subtil d’une équivoque féconde, afin que les esprits qui t’ont suivi soient récompensés de leurs peines par la joie tremblante d’une découverte qu’ils croiraient faire, avec l’illusoire espérance d’une certitude qui ne sera jamais et la réalité d’un doute