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de fondre les deux mystères, le féminin et le beau, la chaleur et la lumière. Mais cette femme n’est qu’une âme absente, n’existe qu’ainsi qu’un reflet, et l’artiste s’épuise à lui inventer une réalité, lui, lui-même si chimérique et sans cesse rejeté de l’une à l’autre des extrémités de la vie spirituelle et sentimentale. Et l’œuvre, sans conclusion, comme il était fatal, laisse cette âme dans ce purgatoire intérieur et sans espérance : le doute de soi et le doute de l’être aimé. Et l’artiste reste nu sous le grand vent des forces naturelles, ignorant si ce souffle vient de l’espace vide ou d’un lumineux esprit de vie ; seul au milieu des formes qu’il suppose tour-à-tour de vaines illusions ou les révélations lointaines de l’infini :

Ce poëme en prose :


Le Poète s’en va sur le chemin, sans se mêler aux groupes, en des âges devant, pour des âges derrière les hommes qui marchent. Il est enfant, homme, vieillard, mais toujours jeune et beau. Il va devant lui, croyant entrevoir, chaque heure, à travers les brouillards du matin, au delà des soleils du jour, au dessus des nuées du soir, émergeant des opaques nuits, bleues sous les lunes sereines, les coupoles étincelantes de la Cité du Rêve.

Et il chante cette Cité, et il marche.

Il aperçoit, au loin des montagnes bleues et roses, des ciels d’ors pourpres aux immenses déchirures éclatantes, auréolés de villes confuses scintillant en les sombres reculées : derrière ces monts, sous les cieux, c’est le vaste portique de la Cité.

Et il chante cette Cité, et il marche.

Les fleuves et la mer découvrent devant lui les profondeurs vertes, les abîmes bleus, les reflets inconnus des grandeurs du