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Moréas. Cette œuvre encore brève indique des transformations déjà bien nettes. L’influence de Gautier se rencontre avec celle de M. Verlaine et disparaît devant celle-ci, laquelle, ayant ouvert au jeune poëte une voie nouvelle, l’y laisse à mi-chemin s’en aller seul, plus loin. Le vers déniaisé — soit ! — par Victor Hugo, resserré par Gautier et les Parnassiens, sans perdre les libertés acquises. M. Verlaine l’affranchit des contraintes anciennes et nouvelles, mais sans lui faire perdre ses caractères essentiels de vers français : Moréas et d’autres poètes de cette génération sont, à ce qu’ils croient, les dernières et logiques conséquences du principe verlainien, lequel donne à la prosodie, pour la rendre apte à l’expression de nuances dont jadis on ne s’embarrassait pas, des souplesses qu’elle ignorait alors[1].

Pour Moréas, les vers ne sont plus que notations musicales dont il tire d’admirables effets. Voyez cette strophe du poëme d’Agnès :


« Sœur, douce amie, « lui disais-tu », douce amie,
Les étoiles peuvent s’obscurcir et les amaranthes avoir été,
Que ma raison ne cessera mie
De radoter de votre beauté.
Car Cupidon ravive sa torche endormie
À vos yeux, à leur clarté ;
Et votre regarder, lui disais-tu, est seul Mire
De mon cœur atramenté. »

  1. Voir dans le chapitre V la théorie des vers français.