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Laurent Tailhade est un païen mystique, un sensuel spiritualisant. Il vient de M. de Banville, de M. Armand Silvestre, du soleil et des hymnes religieuses. Moins appartiendrait-il à la génération nouvelle qu’à celle des Parnassiens, croirait-on d’abord à le lire. Mais, chez lui, les joailleries du Parnasse prennent un autre accent, éblouissant, puis qui inquiète. Des mysticités douteuses et trop parées, une madone telle que l’eût priée Baudelaire, mais combien plus sombre d’avoir oublié de l’être, combien plus triste de sourire ainsi ! Une sorte de piété sacrilège. Le rêve du poêle ne sait guère que se jouer avec des instruments sacrés, s’accouder à des missels, vêtir des chapes sur des surplis. Et dans ce mysticisme la sensualité raffine. Ce décor splendide emprunte à l’Évangile seulement son prétexte, le charme non pas d’une contrainte mais d’un accompagnement somptueux à toutes les jouissances. Le soleil qui se reflète en tous ces ors prodigués a décomposé les croyances, les a rendues à leurs éléments prem iers, à l’amour, à la vie, à la nature, — C’est le bel être qui va mourir qu’on adore dans le nimbe céleste où l’amour voudrait monter, voudrait


Usurper en riant les hommages divins[1]


pour les lui dédier. N’est-ce pas cela ? Lisez :


Dans le nimbe ajouré des vierges byzantines,
Sous l’auréole et la chasuble de drap d’or

  1. Charles Baudelaire : Bénédiction.