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la bienfaisante nostalgie de la liberté naturelle.

— Écrivez du moins pour Quelques Uns, pour les rares esprits capables d’élévation : écrivez pour les grandir. Chacun d’eux étant le centre d’un groupe, la bonne influence se communiquera du centre à la périphérie… Ainsi s’accomplira le rôle d’éducateur qu’assume quiconque écrit…

— Quel piège encore se dissimule sous cette sorte de pactisation ? Raisonnons : qui sont ces Quelques Uns dont on parle avec cette estime anonyme ? Nous sont-ils supérieurs, égaux, inférieurs ? Dans le second cas, nous n’avons nul effort à faire pour nous mettre à leurs portée, puisque nous y sommes naturellement : un poète écrit pour ses égaux en écrivant pour soi. Dans le premier cas, c’est nous qui espérons d’eux la manne de la vie, ou plutôt symbolisent-ils notre propre Idéal, et l’espoir de les contenter est notre meilleure ambition. Le cas le plus probable est le troisième : il s’agirait de bons esprits un peu au-dessus, comme on dit, de la moyenne, incapables de créer, capables de comprendre — et nous égalant par là, selon le mot de Raphaël : « Comprendre, c’est égaler. » Mais avec de tels esprits (combien sont-ils ?) nous sommes bien loin déjà des premiers conseils : Écrire pour tous, écrire pour les petits… On se représente des êtres, des esprit bien nés et qui n’auraient que faire de nos enseignements ; le seul moyen qu’on voie de