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le siècle suivant n’entend pas sans étude. L’écrivain a tous les droits pourvu que sa langue particulière soit soumise au génie général de la langue et au génie aussi des langues mortes qui l’ont faite[1]. La langue de M. de Goncourt a ces deux qualités. — Par la modernité, la vie des choses (effacée toutefois devant la vie humaine, la physionomie), par la langue personnelle M. de Goncourt appartient à la génération nouvelle. Il se recule d’elle par son incuriosité des mystères divins. On peut supposer qu’un amour trop soigneux des détails, pourtant tous graves et desquels chacun reflète l’ensemble, efface en lui ce besoin supérieur de coaliser pour un seul but tous les efforts de la pensée. M. de Goncourt n’a pas l’esprit religieux. La Beauté le séduit et le domine en le saisissant surtout par sa curiosité ; or, la curiosité ne s’agenouille que pour voir de plus près, point pour adorer. M. de Goncourt est l’Esprit Moderne en qui le souffle scientifique a éteint

  1. « Enfermez-la dans la matrice des langues mortes ; serrez-la dans leur moule de fer : elle sera frappée, elle sortira médaille, sans bavure et nette comme la langue de diamant de La Bruyère. Je ne vous dis pas, bien entendu, de coucher avec des livres latins, de les traduire ; il s’agit de ce génie de la langue qu’il faut surprendre, sentir et emporter ; car, pour les sas’oir par cœur et ne pas les quitter… Tenez, voilà encore un problème et un pourquoi : ayez-vous remarqué, — c’est bien bizarre, — que presque tous les amants de la belle latinité ont le style le plus contraire au style dans la familiarité duquel ils vivent ? » (Charles Demailly.)