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plus épris de dire de nouvelles choses que des mots nouveaux, il est infiniment précieux qu’un homme de génie ait voué son principal effort à réaliser la forme littéraire française la plus sûre, la plus fortement belle, classique et romantique à la fois, traditionnelle et mouvementée, parfaite. Cet effort est celui de Flaubert et sa gloire. À qui le lit pour la première fois, il semble que ce Poëte ait créé la prose française, et qu’il l’ait créée comme en dehors, comme loin de lui, en négligeant de signer sa page. Il donne l’illusion, dans ce but se gardant des nuances, que chaque pensée, chaque idée, chaque sensation, chaque sentiment se désigne d’un mot, unique, certain. Son regard est vaste mais un peu général, il sent d’une sorte plus étendue que profonde. — Au contraire Sainte-Beuve s’avoue faible, inégal aux ambitions hautes, toujours en train de nous parler de lui-même, signant chacun de ses mots, nous donnant l’analyse subtile, et qui voudrait être complète, de ses fautes, de ses remords, de ses intentions, de ses scrupules, le tout se résolvant en un ennui dense et pourtant léger, l’ennui d’un esprit raisonnable et mûr, qui ne veut être ni la victime des autres ni sa propre dupe. Chez lui tout n’est plus que nuances. Les idées, les sentiments se divisent, se disséminent et le désir d’atteindre à l’élément premier et précis, qui toujours se dérobe, induit le Poëte en un vague d’âme et de style délicieux, déconcertant. On a