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thétique d’aspiration, il a noté en frémissantes peintures et qui la dépassent — excès où l’écrivain classique réapparaît — la réalité visible.

La même vision se peint d’autre sorte en La Fontaine. Lui aussi, certes, a vu vivre, — il a rêvé aussi, et de la vie et du rêve il a fait ses fables. Une erreur accompagne le nom de La Fontaine dans les mémoires modernes. Parce qu’il met en scène des végétaux, des animaux, on veut croire qu’il a le sentiment de la nature, on s’extasie sur la connaissance qu’il a des mœurs de ses personnages symboliques. Il ne connaît pas plus, à parler vrai, les mœurs du Lion et de la Fourmi que celles du Pot de terre et du Pot de fer ; il connaît aussi bien les unes que les autres, n’ayant jamais observé le Lion et le Pot de terre que dans son imagination. Bien moins que La Bruyère, La Fontaine dépasse son siècle : il n’est rien de plus — et rien de moins — que le contemporain de Racine. Ses lions, ses ours et ses renards ne sont pas plus des animaux qu’Achille, Agamemnon et Iphigénie sont des Grecs. « Mais, dit-on, voyez comme son renard est rusé, comme sa fourmi est diligente ! » Oui, ils ont leurs caractères généraux, de même que les héros de Racine : et voyez donc comme Achille est violent ! Mais il y a loin de là à l’intelligence qu’on prête à La Fontaine de la mystérieuse vie des bêtes et des choses. Achille et le Lion sont des symboles d’humanité, voilà tout.