Page:Morice - Aux sources de l'histoire manitobaine, 1907.pdf/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 78 —

Car enfin, en pareille matière, il faut être logique ou bien se taire. Qu’est-ce qu’une révolte ? C’est un soulèvement à main armée contre l’autorité légitime ; une résistance par voies de fait aux représentants des pouvoirs légalement constitués. En 1860, l’Assiniboia était, comme le Canada, une colonie qui dépendait directement de la couronne anglaise. Riel et les métis se soulevèrent-ils contre l’autorité de la Reine ? Aucunement. Même la plupart des auteurs anglais sont forcés de reconnaître leur parfaite loyauté. Du reste, les pièces officielles de l’époque sont là pour la prouver. Alors, où est la révolte ? Montrez-nous la rébellion, ou bien avouez que vous faites un usage éhonté des mots, et que vous calomniez un petit peuple auquel on devrait au contraire savoir gré d’avoir été probablement le sauveur du Manitoba et du Nord-Ouest canadien tout entier.

Cette dernière assertion surprendra, je le sais. J’y reviendrai peut-être. En attendant il doit me suffire de démontrer la parfaite légitimité de sa résistance aux empiètements, non pas du gouvernement britannique, contre lequel il ne lui vint jamais à la pensée de se soulever, mais des autorités canadiennes qui n’avaient aucun droit sur son territoire avant le 15 juillet 1870.

Comme je l’ai écrit ailleurs,

les habitants de la Rivière-Rouge étaient, avant cette époque, dans la même position que ceux de Terre-Neuve aujourd’hui. Que les détracteurs des métis se mettent un instant à la place de ces derniers. Des émissaires de Québec arrivent à leur pays, formant, comme le disait le Dr Bryce des Ontariens de l’Assiniboia, « une expédition de caractère irritant, agressif et égoïste ; prenant possession du sol avant qu’il n’ait été transféré et posant en conquérants »[1] ; « traitant durement les colons », arpentant leurs terres comme il leur plaît en dépit des plaintes des insulaires qui se croient par là menacés d’en être dépossédés. Supposons que ces vantards de Canadiens-Français déclarent que, malgré les protestations des pionniers avec lesquels nous identifions momentanément les écrivains anglais, leur pays va être annexé à un corps politique nouvellement formé ; que la langue anglaise va être proscrite en faveur du français, qu’on va forcer leurs enfants à fréquenter les écoles catholiques, qui vont être seules reconnues malgré les objections de leur conscience. Qu’en penseront les bons Anglais ? Ils auront probablement, de pareils procédés, la même opinion que les pionniers de l’Assiniboia eurent de ceux des Ontariens qui représentaient au milieu d’eux le gouvernement d’Ottawa tout fraîchement créé.[2]


  1. History of the Hudson’s Bay Company, p. 459.
  2. The History of the Northern Interior of British Columbia ; appendice B des deux premières éditions ; appendice C de la troisième.