Page:Morice - Aux sources de l'histoire manitobaine, 1907.pdf/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

VII. — questions épineuses


Les mensonges historiques ont la vie proverbialement dure, et les erreurs involontaires dans le champ de l’histoire participent trop souvent à cette ténacité. Soit par suite de paresse intellectuelle de la part d’écrivains qui trouvent plus facile de copier que de recourir aux sources, soit par intérêt personnel et parce que les données inexactes cadrent avec les préjugés de l’auteur, des faits dont l’authenticité n’est rien moins que prouvée sont reproduits sans scrupule, et si personne n’en conteste l’exactitude, ils finissent par passer dans le domaine des vérités irréfragables.

Dans le cas qui nous occupe, une autre raison, de nature assez puérile, semble avoir contribué à dénaturer un événement important dans l’histoire canadienne. Quiconque est un tant soit peu familier avec la littérature courante des Anglais d’Amérique, toute personne qui s’adonne plus ou moins à la lecture de leurs journaux, n’a pu manquer d’être frappé de l’excessive prédilection pour l’allitération dont font preuve la plupart de leurs écrivains à gages. Winnipeg Wirings, Brandon Budget, Calgary Clippings, et tant d’autres expressions du même genre, se rencontrent journellement dans leurs feuilles publiques. Dès lors on conçoit l’extrême satisfaction de ces auteurs quand ils eurent la bonne fortune de tomber sur une allitération bien conditionnée, comme celle que contient la phrase Riel’s Red River Rebellion, « la révolte de Riel à la Rivière-Rouge. » Évidemment, pareille aubaine ne pouvait se négliger, surtout étant donné que cette expression consacre des préjugés basés sur des antipathies nationales.

Naturellement l’historien sérieux est au-dessus de semblables puérilités, et doit avant tout la vérité à ses lecteurs. Bien que jusqu’ici les écrivains anglais sans exception — même, je regrette de le dire, Alex. Begg — aient parlé de l’insurrection de 1869 comme d’une rébellion, je n’hésite pas à déclarer (et on devrait le proclamer sur les toits) qu’il n’y eut jamais de rébellion à la Rivière-Rouge. En d’autres termes, le soulèvement dirigé par Riel était parfaitement légitime, et le gouvernement qui en résulta avait toutes les garanties de légalité possibles dans les circonstances. Les métis parvinrent à leurs fins, et n’eût été le fanatisme des soldats de Wolseley, Riel aurait remis paisiblement entre les mains du gouverneur Archibald les pouvoirs temporaires que le peuple lui avait confiés.