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une belle voiture attelée de deux chevaux fringants. L’imperturbable ami de Mars qui les conduisait, une fois arrivé au milieu des gardes qui, étant donné son air imposant, se demandaient s’il ne serait point par hasard le gouverneur lui-même, leur cria d’un ton impérieux :

« Enlevez-moi cette infernale barrière ! » Chose étrange et à peine croyable, aucun des humbles métis qui la gardaient ne tomba foudroyé devant cet ordre du terrible guerrier. Pas un seul ne tenta même de l’exécuter ! Au contraire, plusieurs se précipitèrent à la tête de ses splendides coursiers pour les empêcher d’avancer. Ce que voyant, Cameron les cingla d’un vigoureux coup de fouet dans le but de leur faire franchir l’obstacle, qui n’avait pas plus de deux ou trois pieds de haut. Mais deux robustes métis les avaient déjà saisis par la bride, et en un clin d’œil, bon gré mal gré, la voiture faisait volte-face.

« Vous allez retourner à Pembina, lui dit alors Riel ; et pour être bien sûr que vous ne prendrez pas une autre voie, mes hommes vont vous accompagner jusque-là. »

Le lendemain, à six heures du soir, deux voyageurs rentraient sans tambour ni trompettes au fort Pembina. L’un avait tranquillement essayé de remplir la mission qu’on lui avait confiée et avait en grande partie réussi. L’autre, mortifié dans son amour-propre et vaincu par de pauvres métis, s’était couvert de ridicule. Dans l’un et l’autre cas, l’« infernale barrière » de Riel avait fait son œuvre, et McDougall apprit qu’il lui serait inutile de la braver.



Et maintenant, que le lecteur veuille bien remarquer, comme épilogue à cet incident qui inaugurait ce qu’on a voulu appeler la rébellion de la Rivière-Rouge, une manifestation de ce que les Anglais désignent sous le nom d’ironie du sort, the irony of fate. Désireux de visiter ce lieu historique, je me rendis l’année dernière par une belle journée d’octobre à la paroisse Saint-Norbert, distante d’environ 10 milles de la ville archiépiscopale. Les bois avaient dépouillé leur verdure ; mais, avec un peu d’imagination, je pouvais facilement me figurer les frais ombrages fournis en été par les jeunes trembles qui forment une ceinture plus ou moins large le long du chemin.

La rivière Sale n’est qu’un ruisseau apparemment sans aucune