jugement et du manque absolu de prudence avec lesquels on allait tenter de les opérer, elles devaient bientôt susciter des troubles destinés à bouleverser la face du pays.
Il est un nom dans l’histoire du Nord-Ouest qui ne peut laisser froid quiconque s’intéresse un tant soit peu à ces immenses régions auxquelles un si bel avenir semble réservé. Riel ! quels sentiments, quelles haines et quelles sympathies cette seule mention n’éveille-t-elle pas chez la génération qui peut se souvenir ! Louis Riel, le révolté, le lâche et l’ambitieux des uns, devient pour les autres un héros, un courageux tribun et le bienfaiteur insigne de sa race non moins que du Manitoba tout entier. Il y a 22 ans, son sort suffit pour mettre en commotion le Canada de l’Atlantique au Pacifique et renverser un de ses principaux gouvernements.
Même aujourd’hui que les passions politiques et nationales surexcitées par son intervention dans les affaires de l’ouest sont calmées, on ne peut guère se représenter cette figure désormais historique sans l’entourer d’une auréole de gloire ou la voiler d’un masque d’ignominie. Tandis que les uns voient dans le chef des métis français un tyran au petit pied et l’assassin de son prisonnier, dignement puni plus tard pour cet abus d’un pouvoir usurpé, les autres ne peuvent se reporter aux événements du passé sans y voir tout un peuple menacé dans son existence, sauvé par la courageuse résistance d’un de ses enfants ; un homme qui, malgré les faiblesses qui lui étaient communes avec les autres membres de notre humanité déchue, n’en put pas moins tenir tête avec dignité et succès aux opposants multiples qui se dressèrent sur son chemin, et dicter à la première puissance de l’Amérique anglaise des conditions auxquelles elle dut finalement consentir.
Puis, comme fond de tableau, l’imagination revoit dans le lointain cette même figure luttant une seconde fois pour les siens. Elle entend les détonations de la fusillade, les cris des mourants et les grondements du canon. L’air est chargé de salpêtre ; mais la victoire reste au nombre. L’opprimé succombe et, après un silence, une ombre passe, froide et saisissante comme toutes les ombres : c’est un échafaud ! Riel disparaît de la scène du monde, et des rancunes qu’on croyait insatiables se déclarent satisfaites.