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sive qu’elle avait conscience de la sécurité que lui assuraient les relations de ses employés avec les chasseurs du pays, vînt contester sérieusement la validité de son monopole dans les contrées découvertes par les Français. Aux prétentions des Anglais, comme on appelait les membres de la Compagnie de la Baie d’Hudson, les Canadiens répondaient en faisant remarquer que leur charte excluait expressément des territoires auxquels elle s’appliquait toutes les contrées, qui en 1670, date de son obtention, « appartenaient aux sujets d’un autre Prince ou État chrétien. » Or, a cette époque, les vallées de la Rivière-Rouge et de la Saskatchewan étaient, incontestablement soumises à la France, et par conséquent, la compagnie anglaise ne pouvait y exercer son monopole. On la regarda plutôt comme une intruse, après que, pour affirmer ses droits, elle se fût établie aux portes des principaux forts canadiens.

Les démêlés, rixes et disputes, pour ne pas dire voies de fait et meurtres même, qui résultèrent de cette concurrence, pourraient fournir la matière d’un volume de taille respectable. Le lecteur qui n’a pas eu l’occasion d’observer sur les lieux l’incroyable amertume des sentiments que pareille rivalité engendre même de nos jours entre gens de même race, dans des contrées où aucun parti ne peut se prévaloir d’un monopole légal, ne se fera jamais une idée des excès auxquels elle peut donner lieu dans les conditions où se trouvaient les traiteurs au commencement du siècle dernier. À cette rivalité effrénée s’ajoutait alors un sentiment qui, noble en lui-même, peut dégénérer en une source de toutes sortes d’excès quand les contraintes suggérées par l’éducation, les convenances sociales ou la voix de l’opinion publique, n’interviennent point pour en modérer l’ardeur. Je parle du sens national qui, dans les démêlés entre les deux compagnies, s’aggravait encore de l’impertinence des uns et de l’excitabilité des autres.

Il serait oiseux de nier que les torts aient été des deux côtés. L’historien consciencieux en est même réduit à se demander si, pesés dans la balance d’un juge impartial, les méfaits à l’actif de la Compagnie du Nord-Ouest n’excédaient point ceux de ses compétiteurs. Son personnel nombreux, hardi, et se ressentant naturellement du sang sauvage, qui coulait dans les veines de la jeune génération et intensifiait encore l’ardeur toute gauloise qu’elle avait reçue comme héritage paternel, ne reculait devant aucune audace. Naturellement paisible et jovial quand il était