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À moins pourtant que la grande plaie des Canadiens modernes, les divisions politiques poussées à outrance, l’esprit de parti qui fait souvent des nôtres le jouet des étrangers qui tirent profit de nos dissensions, ne se substitue au sentiment religieux et national et n’aigrisse les caractères en leur faisant oublier des intérêts qui devraient primer toute préférence sur le terrain politique. Car c’est là un des principaux écueils contre lesquels viennent se briser les aspirations les plus légitimes, écueil contre lequel les Canadiens de l’Ouest et d’ailleurs ne sauraient trop être mis en garde.

Et maintenant que je suis sur le point de céder ma place à d’autres collaborateurs de la Nouvelle-France, ne pourrais-je pas terminer par là où j’ai commencé ? En avril dernier je déplorais l’émigration des Canadiens aux États-Unis comme « un désastre pour la race, une déperdition de forces qui auraient été un appoint si précieux au point de vue national, si elles s’étaient déployées dans un milieu favorable à leur développement au lieu d’aller se perdre dans le grand tout américain ». Un bienveillant critique a relevé cette remarque et essayé de me trouver en faute. Il admet que l’émigration dont je parle a été une déperdition de forces pour le Canada, mais croit que ces forces ne sont plus comme autrefois noyées dans l’océan américain, et il voudrait nous rassurer sur l’avenir de notre langue et de notre religion qui se sont, dit-il, maintenues intactes dans l’est de la grande république « par un clergé dévoué, des écoles et des journaux »[1].

Je ne doute pas de la sincérité de mon critique. Écrivant dans un centre d’émigrés canadiens pour des lecteurs qui ont comme lui quitté la mère-patrie, il est tout naturel qu’il cherche à pallier les résultats de leur commune migration. Je souhaite vivement que son optimisme soit justifié par les faits. Mais comme il est possible que ces lignes aient la bonne fortune de tomber sous ses yeux, je lui demanderai en toute candeur : alors même qu’il aurait raison en ce qui regarde la situation actuelle, peut-il raisonnablement supposer que la race française, en tant que race et au point de vue national, ait un avenir aussi rassurant aux États-Unis que dans les grandes plaines de l’Ouest canadien ? Ici il suffit de se grouper et l’on est chez soi, sans danger d’assimila-

  1. Le Canadien Américain ; Worcester, 24 avril, 1907.