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qui, sans précisément représenter l’ennemi, devrait pourtant toujours paraître plus ou moins étrangère au Canadien bien né.

Mais comment conserver sa langue, c’est-à-dire sa nationalité ? D’abord, l’essentiel est de se grouper : l’union fait la force. Le clocher paroissial doit, dans l’ouest comme partout ailleurs, être le point de ralliement pour quiconque veut rester fidèle au passé de sa race. Sans groupement, le sens national s’émousse et périclite. Autour de l’église, les traditions de la patrie lointaine se conservent, les relations sociales entretiennent l’esprit de corps et, tout en contribuant au bonheur de l’individu, elles ont bientôt pour résultat de multiplier les foyers et d’assurer l’avenir de la nation. On se voit et l’on se compte, et parce qu’on se croit fort on reste français.

Pour cette raison je me permettrai de remarquer qu’un trop grand éparpillement des forces est excessivement préjudiciable à la cause française dans l’Ouest. Nos pères eurent surtout pour champ d’action les magnifiques plaines qui s’appellent aujourd’hui le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta. Pourquoi ne pas s’en contenter ? Des millions de Canadiens pourraient s’y mouvoir à l’aise. Quiconque franchit les montagnes Rocheuses est perdu pour notre nationalité. La Colombie britannique est un pays exclusivement anglais ; le Canadien n’a aucune chance d’y faire souche et d’y perpétuer son individualité raciale. Trop souvent méprisé comme un inférieur par les fils de la fière Albion, une assimilation peu honorable devient son unique ressource.

Une autre sauvegarde de la nationalité canadienne que j’aurais peut-être dû mettre au premier rang se trouve dans les écoles françaises. Là où la langue maternelle disparaît, ne serait-ce que pendant les heures de classe, on peut s’attendre à une atrophie, nationale qui manque rarement de dégénérer en une disparition complète de cette langue même au foyer domestique. Dans la vallée où ces lignes sont écrites végètent quelques familles canadiennes dont les parents chérissent encore le doux parler de Finance ; mais les enfants, tout en le comprenant, préfèrent celui qu’ils entendent à l’école. Vous leur adressez la parole en français, et ils vous répondent infailliblement en anglais ; en sorte que la génération qui grandit n’aura plus de canadien que le nom. Pourquoi ? Parce que dans ce pays le français n’a aucun droit à l’école et que l’instruction se donne exclusivement en anglais.