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devoir de tenir à sa langue comme à la prunelle de ses yeux. L’anglais peut sans doute lui être utile, peut-être même nécessaire, surtout dans certains centres ; mais à la campagne et, en toutes circonstances, au foyer domestique, je voudrais voir la langue maternelle jouir d’un monopole incontesté. Car, inutile de se le dissimuler, la langue c’est la nationalité, et, dans le cas présent, la nationalité est la meilleure sauvegarde de la religion. C’est là une vérité qui a pour moi acquis la force d’un axiome, et que je voudrais voir comprise de tous ceux qui sont en état d’influer sur les masses pour lesquelles l’Ouest est devenu une seconde patrie, ou plutôt qui travaillent à faire de ces superbes plaines comme une annexe du pays qui les vit naître.

Et qu’on ne m’accuse pas d’exagération : l’expérience est là pour me donner raison. Le Canadien qui perd sa langue va généralement plus loin. Non seulement il se déclasse, mais à part d’honorables exceptions, il va même assez souvent jusqu’à renier son origine. Mêlé aux Anglais, il tient à honneur d’imiter leurs manières, et il voudrait les suivre en tout. Il renie son berceau en s’abaissant jusqu’à changer son nom, recherche la compagnie de ceux qu’il est assez petit pour considérer comme appartenant à une race supérieure, et, dans beaucoup de cas, cette fréquentation et les propos journaliers qui en résument affaiblissent sa foi. Il commence par adopter le principe protestant de n’assister aux offices du dimanche que lorsque le cœur lui en dit ; puis il oublie le chemin de l’église pour celui qui mène au temple.

C’en est fait. Notre Canadien, dont peut-être les pères versèrent la dernière goutte de leur sang pour la cause catholique et française, sur les plaines d’Abraham et ailleurs, est devenu transfuge. Traître d’abord à la cause de sa race, il a fini par devenir apostat. Affublé des noms ridicules de Bean ou de Greenwood, il devient un des piliers du temple méthodiste ou anglican. Quelle chute honteuse pour un petit-fils de la nation très chrétienne, et comme cette pitoyable défection a été logiquement amenée par l’abandon de la langue maternelle !

Cette humiliante métamorphose, je l’ai remarquée plus d’une fois dans les vallées de la Colombie anglaise, et, au moment même où j’écris ces lignes, j’ai présent à l’esprit le cas de deux jeunes gens d’une des meilleures familles de la province de Québec, dont la chute lamentable au double point de vue national et religieux est due à un pareil engouement pour une langue