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dant deux articles : l’un sur la mesure de l’utilité des travaux publics, l’autre sur l’influence des péages sur l’utilité des voies de communication, publiés l’un et l’autre dans les Annales des Ponts et Chaussées en 1844 et en 1849, qui présentent un grand intérêt au point de vue de la genèse de l’économie politique pure. Dans ces articles — qui ont pour objet des questions de monopole à propos desquelles il a renouvelé, à son insu sans doute, les théories de A. Cournot — E.-J. Dupuit a en effet fait ressortir, pour la première fois semble-t-il, le fait de la « gradation de l’utilité » (W. St. Jevons), dont une analyse plus approfondie a donné naissance à l’économie mathématique. Il a montré que l’utilité d’un objet n’est pas mesurée par le sacrifice que l’on fait effectivement pour se procurer cet objet, ainsi que le prétendait J.-B. Say, mais par le sacrifice que l’on serait disposé à faire, et que, par suite, « l’utilité d’un morceau de pain peut croître pour le même individu depuis zéro jusqu’au chiffre de sa fortune entière ». Mais après avoir ainsi défini l’utilité d’un objet par ce que W. St. Jevons a appelé plus tard la désutilité (disutility) du sacrifice que l’on serait disposé à faire pour se le procurer, E.-J. Dupuit a cru pouvoir évaluer cette utilité par l’expression pécuniaire de ce sacrifice, telle qu’elle est fournie par la loi de variation de la demande en fonction du prix, que A. Cournot a appelée loi du débit, et qu’il a désignée sous le nom de loi de consommation. Or, il est évident que non seulement l’utilité de la monnaie diffère d’un individu à un autre, mais encore qu’elle varie pour un même individu suivant les circonstances ; en la prenant comme base d’évaluation, E.-J. Dupuit a donc commis une grave faute de raisonnement[1], dont on ne saurait cependant lui tenir ri-

  1. Cf. L. Walras, Éléments… [p. 106], 41e leç., §§ 385 et s.