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plombant, les versants et les sommets des montagnes, taillées comme les croupes d’énormes pachydermes, et base du glacier disparu. Par ces croupes on peut accéder aux éclaircies de la forêt et mon intention était que Kastrupp en fit l’ascension afin de pouvoir explorer la région montagneuse de l’ouest encore inconnue. En réponse au signal convenu entre les explorateurs, nous aperçûmes peu après des fumées, et bientôt arriva un envoyé de Kastrupp, dont le campement était établi prés du lac, où je le trouvai le lendemain matin. Comme je l’ai dit, il avait exploré la région qui s’étend au sud de 16 de Octubre et relevé le cours du Carrenleufu jusqu’au lac General Paz que nous visitons l’instant d’après (900 m.) ; par suite du manque d’embarcation, il ne m’a pas été possible d’étudier sa limite occidentale. Au nord se trouvent trois autres petits lacs. Les eaux du lac General Paz pénètrent dans des baies profondes, et il est possible que les rivières qui l’alimentent aient leurs sources plus près du chaînon central auquel paraît appartenir la haute montagne neigeuse connue sous le nom de Monte Serrano. Les données de Kastrupp confirment mon impression ; dans cette région, il n’y a rien qui puisse être considéré comme un chaînon à l’est du fleuve, et ce que MM. Serrano et Steffen ont pris pour tel, du point extrême de leurs explorations, n’est que le versant du haut plateau patagonique. Cette erreur, qui en a entraîné une autre, consistant dans l’affirmation que le fleuve Carrenleufu ou Palena a toutes ses sources dans la Cordillère, s’explique par la distance.

À midi, je levai le campement et me dirigeai au sud-est par les cañadones et les moraines pour traverser le haut plateau qui sépare le bassin du Carrenleufu de celui du fleuve de Las Vacas. De beaux champs précèdent la forêt qui couvre le plateau, et celle-ci, que nous traversons avec quelque difficulté à cause de la quantité d’arbres morts tombés entre les blocs erratiques, est également très belle. Les huemules (Cervus Chilensis) qui abondent ne fuyaient pas devant nous, et l’un d’eux nous fournit de la viande fraiche. C’était un plaisir de les voir s’arrêter devant la mule, bondir, nous regarder et brouter de nouveau l’herbe rase, tranquilles, ignorant le danger si proche. Si le huemul est tranquille tant qu’il ignore le péril, rien n’égale sa rapidité à fuir dès qu’il en a conscience ; il semble à première vue impossible qu’un animal aussi lourd puisse faire preuve d’une telle agilité, et vaincre si facilement les obstacles de la forêt australe.

Nous errons égarés pendant quelques heures au milieu des