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poing dans les flancs de l’imprudent qui l’avait attaqué.

Malgré ses cinquante ans, le soldat Labbé, depuis l’époque éloignée déjà où il faisait le cabotage dans le fleuve et le golfe jusqu’à sa dernière rencontre avec le » docteur », avait conservé le surnom de P’tit-homme. Une fois sa majorité atteinte et après avoir fait un voyage an long cours — c’est lui qui l’affirmait —, il avait abandonné le dur métier de marin pour une occupation plus tranquille et, avec des économies péniblement amassées, il avait acheté un coin de terre au bord de l’eau, à Sainte-Luce. L’été il cultivait quelques légumes, mais la majeure partie de son temps était employée à aller cueillir des bluets dans les concessions situées en arrière de sa paroisse. Grâce à cette industrie, qui ne demande pas de capital, il vivait tant bien que mal avec sa vieille mère. À l’époque où il avait adopté ce genre de vie plutôt contemplative, le plat de fer-blanc n’avait pas encore remplacé tout à fait la belle terrine jaune et rouge, et le lecteur comprendra que ce qui aurait dû être un terrible « Tonnerre de Brest » n’était, dans la bouche de l’ancien matelot, qu’une pacifique « Terrinée de bluets ». Avec son juron et son insouciance, P’tit-homme se tirait d’affaire.

Quant à Pierre Dolbret, il faisait de sérieuses réflexions sur la position un peu ridicule où le hasard l’avait mis. En effet il se trouvait maintenant lié au soldat Labbé ; il allait tenter une quasi désertion en compagnie de cet homme à qui, dix ans plus tôt, il n’aurait jamais songé à attacher son sort. Puis, si l’entreprise réussissait, il lui faudrait retourner à Québec, expliquer sa dispari-