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ceux qu’elles avaient soutenus eussent plongé dans le sol ; ici un pied dont les doigts, saillants comme des dents, faisaient à travers le défoncement d’un vieux soulier, une sorte de rictus hébété ; là, des corps de vieux plantés, au hasard de la pelle du fossoyeur, dans des attitudes de polichinelles facétieux ; à côté, sur des bustes chamarrés d’or ou d’argent, enfoncés comme le sphynx du désert, des visages jeunes dont les orbites béantes de statue regardaient au loin avec un air pensif ; et des squelettes de chevaux enjambant par-dessus des cadavres d’hommes ; et des baïonnettes encore reluisantes piquées dans des poitrines déjà pourries, et des tronçons de fusils passés en bandoulière sur des torses dépouillés où le cuir des courroies, creusant son lit ainsi qu’un fer rouge, avait aidé le ver à se tracer un sillon.

La lueur de la lyddite, enveloppant toute la contrée d’un linceul blafard, posa une grimace infernale sur tous ces visages mutilés ; la fosse improvisée semblait avoir vomi sur le sol une proie trop nombreuse ; de son dégoût était née cette nécropole fantastique où les têtes servaient de stèles aux corps enfouis.

Et — réalité mille fois plus poignante que le rêve de Wagram imaginé par Rostand —, c’étaient ces débris d’un régiment anéanti et abandonné sans sépulture par les fuyards qui jalonnaient le chemin où devait passer la civilisation !

Dolbret et ses compagnons avaient peur d’avancer, peur de reculer. Toutes ces mains tendues les éloignaient et les attiraient en même temps : la teneur leur prenait l’âme tandis que l’horreur de cette putréfaction repoussait leur corps.