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pouvaient être une couple de mille. À chaque coup de foudre, les bœufs, effrayés, levaient la tête et lançaient dans l’immensité du veldt de longs beuglements qui ajoutaient encore à l’horreur de l’ouragan.

— De belles bêtes, dit Wigelius.

— Cela représente des centaines de mille dollars, ajouta Stenson.

— Dolbret ne disait pas un mot. Il demeurait les yeux fixés sur la longue traînée qui allait s’effaçant dans la nuit. Depuis son départ du pays, la vie de lutte continuelle qu’il avait menée avait modifié son caractère ; il s’était cuirassé contre sa propre sensibilité et il allait droit à son but sans voir les obstacles, ou du moins sans y attacher trop d’importance ; le danger à courir ne lui semblait être qu’une distraction, un incident plein de sel. Mais pour un moment, son tempérament de poète, d’indolent, venait de reprendre ses droits. Il venait d’apercevoir un côté de la vie de combat et de souffrances des braves Boers ; il avait compris en un instant ce que c’était que de prendre le fusil et de s’en aller dans la plaine et dans la montagne se faire tuer pour le pays ; il avait vu par la pensée les femmes laissées seules à la ferme avec les tout petits enfants, les champs abandonnés, la vie heureuse finie pour toujours peut-être, et, pour avenir, l’esclavage, la domination étrangère. Il n’osait se retourner ni répondre à ses amis, de peur de trahir l’émotion qui l’étreignait.

— Qu’avez-vous, mon ami ? dit doucement Stenson.

— Ah ! vous ne pouvez comprendre cela, vous, vous ne pouvez comprendre cela.