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pour être clair et lucide, je ne puis faire des miracles ; je ne puis pas donner des oreilles aux sourds ni des yeux aux aveugles ? »

M. Bourde, qui n’a pas su ou n’a pas voulu apprécier à sa juste valeur l’ésotérisme de la poésie soi-disant décadente, semble en avoir mieux compris l’extériorité. Il dit : « M. Théodore de Banville exprimait il y a quelques années, le regret que Victor Hugo n’ait pas eu le courage de rendre purement et simplement à la poésie la liberté dont elle jouissait à l’âge d’or du seizième siècle. Eh bien ! cette révolution, les décadents la continuent après le géant mort. Leur curiosité les a conduits à reprendre ces libertés condamnées. Il y a là encore comme un plaisir de péché, en même temps qu’un moyen d’effet nouveau. Leurs infractions à l’hiatus restent rares, mais ils se sont décidément affranchis de la césure et de l’alternance des deux rimes. Ils obtiennent avec des rimes exclusivement féminines, des pièces chuchotantes, aux nuances effacées, avec des rimes exclusivement masculines des sonorités redondantes, impossibles sous le joug des anciennes règles. » Voilà de bonnes et judicieuses paroles. Mais M. Bourde, plus loin, s’inquiète de nouveau de la pureté de la langue, et évoque les ombres des vieux grammairiens et de Littré. M. Bourde peut dormir tranquille. Littré ce lexicographe libéral et hardi, serait le premier a accueillir, s’il n’était pas mort, les trouvailles de style des décadents, comme il l’a fait pour les mots, tirés du latin ou créés de toutes pièces, par ce prodigieux écrivain qui a nom Théophile Gautier. Les poètes décadents — la criti-