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laissé trop probablement les décadents tranquilles dans leur petite église transformée en mauvais lieu si nous n’avions eu à considérer que leurs opinions. Mais, autant ils mettent de vanité à rechercher des sensations inédites, autant ils apportent de soins à les exprimer dans des rythmes rares et dans une langue renouvelée. Et ils ont fait de ce côté des essais qui ne nous semblent pas indignes de l’attention de ceux qui aiment les vers.

Dans son Petit Traité de la Poésie française, qui est comme le code des conquêtes romantiques, M. Théodore de Banville exprimait, il y a quelques années, le regret que Victor Hugo n’ait pas eu le courage de rendre purement et simplement à la poésie la liberté dont elle jouissait à l’âge d’or du seizième siècle. Pourquoi défendre l’hiatus ? Pourquoi défendre la diphtongue faisant syllabe dans les vers ? Pourquoi exiger l’emploi alternatif des rimes féminines et masculines ? Pourquoi exiger même la césure à la fin de l’hémistiche ? Toutes ces règles, inutiles et nuisibles, puisqu’elles n’ajoutent rien à la beauté du vers, ont été inventées et imposées par Malherbe et par Boileau, versificateurs qui tuèrent la poésie pour deux siècles. « Victor Hugo pouvait, lui, de sa puissante main, briser tous les liens dans lesquels le vers est enfermé et nous le rendre absolument libre, mâchant seulement dans sa bouche écumante le frein d’or de la rime ! Ce que n’a pas fait le géant, nul ne le fera, et nous n’aurons eu qu’une révolution incomplète. »

Eh bien ! cette révolution, les décadents la continuent après le géant mort. Leur curiosité les a conduits à repren-