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SOUVENIRS

s’épanouit, toujours sensible à l’attrait d’une boutonnière, langue d’apparat dont on revêt une pensée de circonstance, pour pénétrer dans l’usine populaire où se forge et rougeoie le langage de chaque jour.

Louis Hémon, qui avait conçu son roman dès sa première vision de Québec, cherchait dans la ville historique, non pas ce qui est resté français, mais ce qui déjà semble venir d’ailleurs. L’ambiance anglaise, la marque américaine, lui apparaissent à certains détails qu’il dresse comme des objections : mais, lorsqu’il s’oriente vers la campagne semée de villages aux noms français, le regard du paysan l’éclaire et il se prend à écouter le parler qui semble l’écho d’un serment. C’est là surtout qu’il sied d’aller rendre visite à la langue, au foyer où elle s’anime, où, toujours alerte, un peu brève, vêtue d’étoffe passée aux reflets savoureux, elle vaque à sa besogne parmi de vieilles choses.

Elle est de France, de toute la France, car le Canada n’a pas été fondé, quelque honneur qu’il en eût d’ailleurs ressenti, uniquement par des Normands et des Bretons. Les arrivages, soigneusement relevés, ont permis à nos historiens de rattacher plus largement notre pays : le Nord, l’Ouest, le Centre, voire le Midi, ont peuplé le Canada et reproduit sur son sol une image de la patrie.

Chose curieuse, qu’il est intéressant d’imaginer en refaisant l’histoire, le Canada a subi une évolution linguistique dont la courbe ressemble à celle de la France. Plusieurs des nouveaux venus parlaient le français ou l’entendaient pour l’avoir appris, d’autres n’apportaient avec eux que le langage de leur patelin, leur patois, langue romane aussi expressive, parfois plus heureuse, mais con-