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ACADÉMICIEN

autour d’un conférencier qu’une mission ou tout simplement la sympathie a guidé vers nous ; le français, celui que l’on appelle classique et dont le nôtre se rapproche fût-ce sans le savoir, que l’artiste fait renaître devant les enfants accourus de toutes les écoles, lorsqu’il interprète une œuvre de Molière ou de Beaumarchais ; le français, plus populaire, égayé des mêmes sourires, alangui des mêmes tristesses, nourri des mêmes naïvetés sentimentales, que lance le chansonnier et qui fait battre les mains aux endroits mêmes que la province française a déjà soulignés ; le français enfin, moins souple peut-être, plus ramassé, moins abondant parce qu’il a dû se replier sur lui-même et durer dans le seul souvenir, mais vivace encore et suffisamment fort pour se ressaisir, que l’instituteur canadien transmet aux générations, que le poète exalte et que la prose défend, que le prêtre sanctifie lorsque, chaque dimanche et jusque dans les hameaux les plus humbles, il prononce comme s’il l’écrivait un prône que les fidèles écoutent comme s’ils le lisaient.

Et cela depuis trois siècles, inlassablement, trois siècles qu’un moment de recueillement exprime chaque année avec l’intensité d’un symbole lorsque, la nuit du 24 décembre, les routes bleues de neige s’animent vers l’église : sur la foule agenouillée qu’une même pensée rapproche, dans le silence sans limites de la prière, les chants de Noël venus de France, lointains et semblables, vibrent comme une onde émise du passé. Incomparable émotion qui renoue l’histoire en une minute d’abandon et fonde la patrie canadienne, désormais distincte, sur une survivance dont ni le temps ni les hommes n’ont triomphé.

Mais quittons ce jardin où la langue écrite