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SOUVENIRS

drait plus heureuses. Mais c’est le sort de ces visites : elles ne sont même pas de cérémonie, elles sont de vitesse. Entre deux ronflements de moteur, vite au bureau de tabac où l’on vend de tout : je puise fébrilement dans une boîte trois cartes postales auxquelles je redemanderai la vision trop brève. J’emporte ce moment de pierre, mais je laisse l’atmosphère où j’eusse aimé me recueillir. Hélas ! il en fût toujours ainsi : de la Normandie, du Poitou, du pays de Chartres, même de l Alsace-Lorraine. N’ai-je pas passé mon temps à trouver des coins où j’aurais voulu m’arrêter ?

Nous descendons le coteau qui domine Cherbourg, parmi les ajoncs pointillés de fleurs jaunes, les arbustes aux épines noirâtres et les pins en parasols. Voici, dans un détour qui abrite du vent, la maison de Millet, basse, simple. Une plaque : « 4 octobre 1814, ici est né le peintre Jean-François Millet ». C’est tout. En face, son puits : une poivrière descendue d’un toit, dont le temps arrondit les contours d’une longue caresse. À gauche, un escalier, vermoulu, étroit, conduit à une maison dont un Américain est devenu propriétaire. Il y vient l’été. Il a, probablement avec raison, remplacé le chaume du toit par de belles tuiles, fortement agrippées. Le chauffeur murmure : « Ce n’est plus cela ».

La route rebondit vers la mer. Nous traversons les mêmes villages, revoyant l’hôtellerie que le père de Millet aurait tenue, l’hôpital maritime, les quartiers où loge l’aviation. Cherbourg de nouveau. Achat d’un dernier paquet de cigarettes dans la langue qui est la nôtre. Mauvais dîner au casino, maison sans attaches, sans charme : belle à l’arrivée sans doute, anonyme au départ.

Le transbordeur transi nous porte vers le ba-