Page:Montpetit -Le Front contre la vitre, 1936.djvu/265

Cette page a été validée par deux contributeurs.
265
DISCOURS À L’ACADÉMIE DE BELGIQUE

physionomie. Procédé légitime, mais qui n’aurait pas produit redingote ni bouledogue.

Le Franco-Canadien entend le mot anglais et parle français : il a tôt fait de franciser à l’aide d’une terminaison qui correspond au son anglais et à la graphie française. Vous avez rencontré le mot clairer dans Maria Chapdelaine : comme il fait image lorsqu’il exprime le travail du bûcheron aux prises avec la forêt qu’il abat ! Rail est peut-être plus typique encore : il a produit chez nous dérailer qui vaudrait mieux, au dire de plus d’un philologue, que dérailler formé en France, par une curieuse similitude, sur railler. Nous avions déjà réaliser, dans le sens de se rendre compte, avant que le Paris littéraire — était-ce Bourget, Rostand, Rosny ou même Léon Bloy ? — ne l’eût emprunté à l’Angleterre. Et vous remarquez tout de suite que plusieurs de ces francisations, parties de mots anglais, aboutissent à des vocables français dont le sens se trouve, en quelque sorte, élargi. C’est le cas du verbe mouver qui finit par signifier déménager.

C’est un jeu, et qui ne va pas sans agrément, de suivre ainsi les mots dans leurs transformations et de reconnaître comment crâle, que les Canadiens ont tiré de crowd, rejoint crâlée qui est normand et qui veut dire abondance ; comment boss, inutile doublet de patron, se relie, dans le domaine insoupçonné des évolutions, au vieux français boseur, qui jadis a eu le sens de vantard ; comment grocerie, qui supplée épicerie, remonte tout de même jusqu’aux glossaires anglo-normands où, sous la forme grosserie, il explique le grosseria des Italiens américanisés.