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LE FRONT CONTRE LA VITRE

La cuisine même « est de l’art », comme me le disait une hôtesse de Rolleboise à propos de cette merveille qu’elle venait de nous offrir : un buisson d’éperlans. C’est le sens heureux où l’hôtellerie s’engage chez nous, quoique, parmi plus de propreté, on y trouve encore une innombrable soupe aux pois, souvent mal faite, des pâtes blêmes comme des déchets, servies sous d’inénarrables portraits de famille, ou dans ces décors de têtes de chevreuils multipliant jusqu’à l’affolement leurs yeux de verre.

Heureusement, l’instinct résiste. Tout seul, le plus souvent. Voué à la double atteinte du chauvinisme et de l’américanisme. Affaibli, étouffé par celui-ci, rétréci, racorni par celui-là. Car, ainsi que le vocabulaire, l’instinct ou, si l’on veut, l’attitude, s’appauvrit hors de la source française. La « Romanie » révèle ainsi, dans le monde, des ondes de plus en plus amollies à mesure qu’elles s’éloignent du centre. La critique sans mesure et parfois haineuse de ce qui est français — j’entends : profondément français — a détruit en nous la vie et nous a repliés sur des réserves d’une insuffisance grandissante. L’américanisme se charge du reste. Il entre, non pas comme un voleur, mais comme un gangster, l’arme au poing, des quantités d’armes : produits standardisés, magazines, journaux, radio, cinéma, sans compter les idées, les mœurs et les impondérables. Nous pouvons lui résister, même l’utiliser, mais à la condition de nous être fait d’abord une conscience française, et du coffre.