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Il n’est donc question que de ceux qui en jouissent. Mais comme dans un pays policé ceux qui jouissent des commodités d’un art sont obligés d’en cultiver un autre, à moins de se voir réduits à une pauvreté honteuse, il s’ensuit que l’oisiveté et la mollesse sont incompatibles avec les arts.

Paris est peut-être la ville du monde la plus sensuelle, et où l’on raffine le plus sur les plaisirs ; mais c’est peut-être celle où l’on mène une vie plus dure. Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent sans relâche. Une femme s’est mis dans la tête qu’elle devait paraître à une assemblée avec une certaine parure ; il faut que dès ce moment cinquante artisans ne dorment plus et n’aient plus le loisir de boire et de manger : elle commande, et elle est obéie plus promptement que ne seroit notre monarque ; parce que l’intérêt est le plus grand monarque de la terre.

Cette ardeur pour le travail, cette passion de s’enrichir, passe de condition en condition, depuis les artisans jusques aux grands. Personne n’aime à être plus pauvre que celui qu’il vient de voir immédiatement au-dessous de lui. Vous voyez à Paris un homme qui a de quoi vivre jusqu’au jour du jugement, qui travaille sans cesse, et court risque d’accourcir ses jours pour amasser, dit-il, de quoi vivre.

Le même esprit gagne la nation ; on n’y voit que travail et qu’industrie : où est donc ce peuple efféminé dont tu parles tant ?

Je suppose, Rhédi, qu’on ne souffrît dans un royaume que les arts absolument nécessaires à la culture des terres, qui sont pourtant en grand