Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miraculeux, de systèmes nouveaux ; et qu’absorbés dans les méditations, ils soient privés non-seulement de l’usage de la parole, mais même quelquefois même de la politesse.

Dès que le feu roi eut fermé les yeux, on pensa a établir une nouvelle administration. On sentoit qu’on étoit mal, mais on ne savoit comment faire pour être mieux. On s’étoit mal trouvé de l’autorité sans bornes des ministres précédents : on la voulut partager. On créa pour cet effet six ou sept conseils ; et ce ministère est peut-être celui de tous qui a gouverné la France avec plus de sens : La durée en fut courte, aussi bien que celle du bien qu’il produisit.

La France, à la mort du feu roi, étoit un corps accablé de mille maux : N*** prit le fer à la main, retrancha les chairs inutiles, et appliqua quelques remèdes topiques ; mais il restoit toujours un vice intérieur à guérir. Un étranger est venu, qui a entrepris cette cure. Après bien des remèdes violents, il a cru lui avoir rendu son embonpoint ; et il l’a seulement rendue bouffie.

Tous ceux qui étoient riches il y a six mois sont à présent dans la pauvreté, et ceux qui n’avoient pas de pain regorgent de richesses. Jamais ces deux extrémités ne se sont touchées de si près. L’étranger a tourné l’État comme un fripier tourne un habit : il fait paraître dessus ce qui étoit dessous ; et ce qui étoit dessus, il le met à l’envers. Quelles fortunes inespérées, incroyables même à ceux qui les ont faites ! Dieu ne tire pas plus rapidement les hommes du néant. Que de valets servis par leurs camarades, et peut-être demain par leurs maîtres !

Tout ceci produit souvent des choses bizarres.