Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Là, vous voyez la nation espagnole sortir de quelques montagnes : les princes mahométans subjugués aussi insensiblement qu’ils avoient rapidement conquis ; tant de royaumes réunis dans une vaste monarchie, qui devint presque la seule ; jusqu’à ce qu’accablée de sa fausse opulence, elle perdit sa force et sa réputation même, et ne conserva que l’orgueil de sa première puissance.

Ce sont ici les historiens d’Angleterre, où l’on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde et de la sédition ; le prince toujours chancelant sur un trône inébranlable ; une nation impatiente, sage dans sa fureur même ; et qui, maîtresse de la mer (chose inouïe jusqu’alors), mêle le commerce avec l’empire.

Tout près de là sont les historiens de cette autre reine de la mer, la république de Hollande, si respectée en Europe, et si formidable en Asie, où ses négociants voient tant de rois prosternés devant eux.

Les historiens d’Italie vous représentent une nation autrefois maîtresse du monde, aujourd’hui esclave de toutes les autres ; ses princes divisés et foibles, et sans autre attribut de souveraineté qu’une vaine politique.

Voilà les historiens des républiques : de la Suisse, qui est l’image de sa liberté ; de Venise, qui n’a de ressources qu’en son économie ; et de Gênes, qui n’est superbe que par ses bâtiments.

Voici ceux du Nord et, entre autres, de la Pologne, qui use si mal de sa liberté et du droit qu’elle a d’élire ses rois, qu’il semble qu’elle veuille consoler par là les peuples ses voisins, qui ont perdu l’un et l’autre.