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ses devoirs que d’avoir des évêques qui en dispensent, on a pris ce dernier parti pour l’utilité publique : ainsi, si l’on ne veut pas faire le rahmazan, si on ne veut pas s’assujettir aux formalités des mariages, si on veut rompre ses vœux, si on veut se marier contre les défenses de la loi, quelquefois même, si on veut revenir contre son serment, on va à l’Evêque ou au Pape, qui donne aussitôt la dispense.

Les évêques ne font pas des articles de foi de leur propre mouvement. Il y a un nombre infini de docteurs, la plupart dervis, qui soulèvent entre eux mille questions nouvelles sur la religion. On les laisse disputer longtemps, et la guerre dure jusqu’à ce qu’une décision vienne la terminer.

Aussi puis-je t’assurer qu’il n’y a jamais eu de royaume où il y ait eu tant de guerres civiles que dans celui de Christ.

Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d’abord appelés hérétiques. Chaque hérésie a son nom, qui est, pour ceux qui y sont engagés, comme le mot de ralliement. Mais n’est hérétique qui ne veut : il n’y a qu’à partager le différend par la moitié, et donner une distinction à ceux qui accusent d’hérésie ; et, quelle que soit la distinction, intelligible ou non, elle rend un homme blanc comme de la neige, et il peut se faire appeler orthodoxe.

Ce que je te dis est bon pour la France et l’Allemagne : car j’ai ouï dire qu’en Espagne et en Portugal, il y a de certains dervis qui n’entendent point raillerie, et qui font brûler un homme comme de la paille. Quand on tombe entre les mains de ces gens-là, heureux celui qui a toujours prié Dieu avec de petits grains de bois à la