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pas vous voir ! Et quelle impatience quand je vous eus vue ! Vous ne la satisfaisiez pourtant pas ; vous l’irritiez, au contraire, par les refus obstinés d’une pudeur alarmée : vous me confondiez avec tous ces hommes à qui vous vous cachez sans cesse. Vous souvient-il de ce jour où je vous perdis parmi vos esclaves, qui me trahirent et vous dérobèrent à mes recherches ? Vous souvient-il de cet autre où, voyant vos larmes impuissantes, vous employâtes l’autorité de votre mère pour arrêter les fureurs de mon amour ? Vous souvient-il, lorsque toutes les ressources vous manquèrent, de celles que vous trouvâtes dans votre courage ? Vous mîtes le poignard à la main et menaçâtes d’immoler un époux qui vous aimoit, s’il continuoit à exiger de vous ce que vous chérissiez plus que votre époux même. Deux mois se passèrent dans ce combat de l’amour et de la vertu. Vous poussâtes trop loin vos chastes scrupules : vous ne vous rendîtes pas même après avoir été vaincue ; vous défendîtes jusqu’à la dernière extrémité une virginité mourante : vous me regardâtes comme un ennemi qui vous avoit fait un outrage ; non pas comme un époux qui vous avoit aimée ; vous fûtes plus de trois mois que vous n’osiez me regarder sans rougir : votre air confus semblait me reprocher l’avantage que j’avois pris. Je n’avois pas même une possession tranquille ; vous me dérobiez tout ce que vous pouviez de ces charmes et de ces grâces ; et j’étois enivré des plus grandes faveurs sans avoir obtenu les moindres.

Si vous aviez été élevée dans ce pays-ci, vous n’auriez pas été si troublée : les femmes y ont perdu toute retenue : elles se présentent devant