Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mon amour ; vous à qui il n’est jamais permis de mettre un pied sacrilége sur la porte du lieu terrible qui les dérobe à tous les regards, vous souffrez que ceux dont la conduite vous est confiée aient fait ce que vous n’auriez pas la témérité de faire, et vous n’apercevez pas la foudre toute prête à tomber sur eux et sur vous ?

Et qui êtes-vous, que de vils instruments que je puis briser à ma fantaisie ; qui n’existez qu’autant que vous savez obéir ; qui n’êtes dans le monde que pour vivre sous mes lois, ou pour mourir dès que je l’ordonne ; qui ne respirez qu’autant que mon bonheur, mon amour, ma jalousie même, ont besoin de votre bassesse ; et enfin qui ne pouvez avoir d’autre partage que la soumission, d’autre âme que mes volontés, d’autre espérance que ma félicité ?

Je sais que quelques-unes de mes femmes souffrent impatiemment les lois austères du devoir ; que la présence continuelle d’un eunuque noir les ennuie ; qu’elles sont fatiguées de ces objets affreux, qui leur sont donnés pour les ramener à leur époux ; je le sais : mais vous qui vous prêtez à ce désordre, vous serez puni d’une manière à faire trembler tous ceux qui abusent de ma confiance.

Je jure par tous les prophètes du ciel, et par Ali, le plus grand de tous, que, si vous vous écartez de votre devoir, je regarderai votre vie comme celle des insectes que je trouve sous mes pieds.

À Smyrne, le 12 de la lune de Zilcadé, 1711.