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ensuite des festins, où la joie ne régnoit pas moins que la frugalité. C’étoit dans ces assemblées que parloit la nature naïve, c’est là qu’on apprenoit à donner le cœur et à le recevoir ; c’est là que la pudeur virginale faisoit en rougissant un aveu surpris, mais bientôt confirmé par le consentement des pères ; et c’est là que les tendres mères se plaisoient à prévoir de loin une union douce et fidèle.

On alloit au temple pour demander les faveurs des dieux : ce n’étoit pas les richesses et une onéreuse abondance ; de pareils souhaits étoient indignes des heureux Troglodytes ; ils ne savoient les désirer que pour leurs compatriotes. Ils n’étoient au pied des autels que pour demander la santé de leurs pères, l’union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l’amour et l’obéissance de leurs enfants. Les filles y venoient apporter le tendre sacrifice de leur cœur, et ne leur demandoient d’autre grâce que celle de pouvoir rendre un Troglodyte heureux.

Le soir, lorsque les troupeaux quittoient les prairies, et que les bœufs fatigués avoient ramené la charrue, ils s’assembloient ; et, dans un repas frugal, ils chantoient les injustices des premiers Troglodytes et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple, et sa félicité : ils chantoient ensuite les grandeurs des dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas ; ils décrivoient ensuite les délices de la vie champêtre, et le bonheur d’une condition toujours parée de l’innocence. Bientôt ils s’abandonnoient à un sommeil que les soins et les chagrins n’interrompoient jamais.