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défaite prochaine ; et, pour que son père n’ignore plus ses besoins, elle les expose à tout le peuple.

Une femme effrontée vient ensuite exposer les outrages qu’elle a faits à son époux, comme une raison d’en être séparée.

Avec une modestie pareille, une autre vient dire qu’elle est lasse de porter le titre de femme sans en jouir : elle vient révéler les mystères cachés dans la nuit du mariage ; elle veut qu’on la livre aux regards des experts les plus habiles, et qu’une sentence la rétablisse dans tous les droits de la virginité. Il y en a même qui osent défier leurs maris, et leur demander en public un combat que les témoins rendent si difficiles : épreuve aussi flétrissante pour la femme qui la soutient que pour le mari qui y succombe.

Un nombre infini de filles, ravies ou séduites font les hommes beaucoup plus mauvais qu’ils ne sont. L’amour fait retentir ce tribunal : on n’y entend parler que de pères irrités, de filles abusées, d’amants infidèles et de maris chagrins.

Par la loi qui y est observée, tout enfant né pendant le mariage est censé d’être au mari : il a beau avoir de bonnes raisons pour ne pas le croire ; la loi le croit pour lui et le soulage de l’examen et des scrupules.

Dans ce tribunal, on prend les voix à la majeure ; mais on a reconnu, par expérience, qu’il vaudroit mieux les recueillir à la mineure : et cela est bien naturel ; car il y a très peu d’esprits justes, et tout le monde convient qu’il y en a une infinité de faux.

À Paris, le 1er  de la lune de Gemmadi 2, 1715.