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que c’est sur les chaises que la noblesse s’acquiert.

Mais, quoique ces invincibles ennemis du travail fassent parade d’une tranquillité philosophique, ils ne l’ont pourtant pas dans le cœur ; car ils sont toujours amoureux. Ils sont les premiers hommes du monde pour mourir de langueur sous la fenêtre de leurs maîtresses ; et tout Espagnol qui n’est pas enrhumé ne sauroit passer pour galant.

Ils sont premièrement dévots, et secondement jaloux. Ils se garderont bien d’exposer leurs femmes aux entreprises d’un soldat criblé de coups ou d’un magistrat décrépit ; mais ils les enfermeront avec un novice fervent, qui baisse les yeux, ou un robuste Franciscain, qui les élève.

Ils connoissent mieux que les autres le faible des femmes ; ils ne veulent pas qu’on leur voie le talon, et qu’on les surprenne par le bout des pieds : ils savent que l’imagination va toujours, que rien ne l’amuse en chemin ; elle arrive, et là on étoit quelquefois averti d’avance.

On dit partout que les rigueurs de l’amour sont cruelles, elles le sont encore plus pour les Espagnols : les femmes les guérissent de leurs peines ; mais elles ne font que leur en faire changer, et il leur reste souvent un long et fâcheux souvenir d’une passion éteinte.

Ils ont de petites politesses qui, en France, paroîtroient mal placées : par exemple, un capitaine ne bat jamais son soldat sans lui en demander la permission ; et l’inquisition ne fait jamais brûler un Juif sans lui faire ses excuses.

Les Espagnols qu’on ne brûle pas paroissent si attachés à l’inquisition, qu’il y auroit de la