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autre sur ses devoirs ; qu’il n’y avoit point pour lui de dispenses, puisqu’il avoit donné les regles ; qu’il seroit ridicule qu’il n’eût pas la force de faire des choses dont il avoit cru tous les hommes capables ; qu’il abandonnât ses propres maximes ; & que, dans chaque action, il eût en même temps à rougir de ce qu’il auroit fait, & de ce qu’il auroit dit.

Avec quelle noblesse n’exerçoit-il pas sa profession ? Tous ceux qui avoient besoin de lui devenoient ses amis. Il ne trouvoit presque pour récompense, à la fin de chaque jour, que quelques bonnes actions de plus. Toujours moins riche, & toujours plus désintéressé, il n’a presque laissé à ses enfans que l’honneur d’avoir eu un si illustre pere.

Vous aimez, messieurs, les hommes vertueux ; vous ne faites grace au plus beau génie d’aucune qualité du cœur ; & vous regardez les talens, sans la vertu, comme des présens funestes, uniquement propres à donner de la force ou un plus grand jour à nos vices.

Et par-là, vous êtes bien dignes de ces grands protecteurs qui vous ont confié leur gloire, qui ont voulu aller à la postérité, mais qui ont voulu y aller avec vous.

Bien des orateurs & des poëtes les ont célébrés, mais il n’y a que vous qui ayiez été établis pour leur rendre, pour ainsi dire, un culte réglé.

Pleins de zele & d’admiration pour ces grands hommes, vous les rappellez sans cesse à notre mémoire. Effet surprenant de l’art ! vos chants sont continuels, & ils nous paroissent toujours nouveaux.

Vous nous étonnez toujours, quand vous célébrez ce grand ministre, qui tira du cahos les regles de la monarchie ; qui apprit à la France le secret de ses forces, à l’Espagne celui de sa foiblesse ; ôta à l’Allemagnee ses chaînes, lui en donna de nouvelles ; brisa tour-à-tour toutes les puissances ; & destina, pour ainsi dire, LOUIS LE GRAND aux grandes choses qu’il fit depuis.