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CHAPITRE XI.

Carthage & Marseille.


CARTHAGE avoit un singulier droit des gens ; elle faisoit noyer[1] tous les étrangers qui trafiquoient en Sardaigne & vers les colonnes d’Hercule. Son droit politique n’étoit pas moins extraordianaire ; elle défendit aux Sardes de cultiver la terre, sous peine de la vie. Elle accrut sa puissance par ses richesses, & ensuite ses richesses par sa puissance. Maîtresse des côtes d’Afrique que baigne la méditerranée, elle s’étendit le long de celle de l’océan. Hannon, par ordre du sénat de Carthage, répandit trente mille Carthaginois depuis les colonne d’Hercule jusqu’à Cerné. Il dit que ce lieu est aussi éloigné des colonnes d’Hercule, que les colonnes d’Hercules le sont de Carthage. Cette position est très-remarquable ; elle fait voir qu’Hannon borna ses établissemens au vingt-cinquième degré de latitude nord, c’est-à-dire, deux ou trois degrés au-delà des isles Canaries, vers le sud.

Hannon, étant à Cerné, fit une autre navigation, dont l’effet étoit de faire des découvertes plus avant vers le midi. Il ne prit presque aucune connoissance du continent. L’étendue des côtes qu’il suivit fut de vingt-six jours de navigation, & il fut obligé de revenir faute de vivres. Il paroît que les Carthaginois ne firent aucun usage de cette entreprise d’Hannon. Scylax[2] dit qu’au-delà de Cerné, la mer n’est pas navigeable[3], parce qu’elle y est basse, pleine de limon & d’herbes marines : effectivement il y en a beaucoup dans ces pa-


  1. Eratosthene, dans Strabon, liv. XVII, pag. 802.
  2. Voyez son Périple, article de Carthage.
  3. Voyez Hérodote, in Melpomene, sur les obstacles que Sataspe trouva.