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vents : ce qui vient de la résistance que trouve dans l’eau le vaisseau poussé par le vent, qui fait un point d’appui ; & de la forme longue du vaisseau qui est présenté au vent par son côté, pendant que, par l’effet de la figure du gouvernail, on tourne la proue vers le côté que l’on se propose ; en sorte qu’on peut aller très-près du vent, c’est-à-dire, très-près du côté d’où vient le vent. Mais, quand le navire est d’une figure ronde & large de fond, & que par conséquent il enfonce peu dans l’eau, il n’y a plus de point d’appui ; le vent chasse le vaisseau, qui ne peut résister, ni gueres aller que du côté opposé au vent. D’où il suit que les vaisseaux d’une construction ronde de fond sont plus lents dans leurs voyages : 1°. ils perdent beaucoup de temps à attendre le vent, sur-tout s’ils sont obligés de changer souvent de direction ; 2°. ils vont plus lentement ; parce que, n’ayant pas de point d’appui, ils ne sçauroient porter autant de voiles que les autres. Que si, dans un temps où la marine s’est si fort perfectionnée ; dans un temps où les arts se communiquent ; dans un temps où l’on corrige, par l’art, & les défauts de la nature, & les défauts de l’art même, on sent ces différences, que devoit-ce être dans la marine des anciens ?

Je ne sçaurois quitter ce sujet. Les navires des Indes étoient petits, & ceux des Grecs & des Romains, si l’on en excepte ces machines que l’ostentation fit faire, étoient moins grands que les nôtres. Or, plus un navire est petit, plus il est en danger dans les gros temps. Telle tempête submerge un navire, qui ne seroit que le tourmenter, s’il étoit plus grand. Plus un corps en surpasse un autre en grandeur, plus sa surface est relativement petite : d’où il suit que, dans un petit navire, il y a une moindre raison, c’est-à-dire, une plus grande différence de la surface du navire au poids ou à la charge qu’il peut porter, que dans un grand. On sçait que, par une pratique à peu près générale, on met dans un navire une charge d’un poids égal à celui de la moitié, de l’eau qu’il pourroit contenir. Supposons qu’un na-